Avis BD Glénat : Miles Davis et la quête du son
Bande-dessinée disponible depuis le 30 avril 2025 aux éditions Glénat, « Miles Davis et la quête du son » s’attaque à une figure légendaire du jazz avec une approche à la fois biographique et artistique. Signé Dave Chisholm, l’ouvrage propose un regard clairement atypique sur le parcours du célèbre trompettiste américain, avec ses succès comme ses zones d’ombre. Loin de se contenter d’un simple récit chronologique, la bande dessinée explore la dimension intérieure du musicien, ses multiples métamorphoses artistiques, et surtout sa fameuse quête du son mystique qu’il a entendu enfant ! C’est parti pour notre avis.
Synopsis : Victime d’un infarctus en 1982, Miles Davis perd l’usage de sa main droite. Le trompettiste ne peut plus jouer. Mais alors que le silence se fait, une nouvelle ère s’ouvre : en remplaçant la musique par la peinture, l’artiste remplira des centaines de cahiers de croquis en jetant un regard sur sa vie passée… Figure mythique du jazz au XXe siècle, Miles Davis aura révolutionné la musique par la création de pièces devenues mythiques : de Kind of Blue à la bande originale du film Ascenseur pour l’échafaud, en passant par sa période psychédélique incarnée par le sulfureux Bitches Brew. Derrière cette impressionnante carrière se dessine le destin turbulent d’un artiste qui crée et innove sans cesse, mais également celui d’un homme au comportement parfois erratique, traversé de drames personnels et habité par la quête de ce « son » mystique qu’il a entendu enfant. L’ouvrage est à découvrir sur le site de l’éditeur, à cette adresse.
Titulaire d’un doctorat en trompette jazz, Chisholm est à la fois le scénariste et l’illustrateur de notre ouvrage du jour, et s’empare de la figure mythique de Miles Davis pour nous proposer un récit aussi bien visuel que musical. Erin Davis, fils de Miles Davis, nous accroche d’emblée avec une préface déjà riche en informations qui met en valeur le talent de l’auteur et nous précise qu’il s’agit de la première véritable biographie en BD de l’artiste. Il est bon de préciser que l’ouvrage ne se contente pas de nous proposer une simple chronologie illustrée, mais une véritable plongée sensorielle dans l’esprit d’un artiste obsédé par l’invention, la rupture, et la recherche d’un son unique qu’il aurait entendu étant enfant (voir planche ci-dessus).
Plutôt que d’enchaîner les faits historiques, l’ouvrage adopte une structure quasi onirique où la quête musicale de Miles devient le fil conducteur, dans lequel on suit un Miles vieillissant, dialoguant avec son passé, ses influences, ses fantômes, et qui fait office de narrateur (avec une narration particulièrement fluide). Chisholm structure son récit autour des grandes périodes de la vie de Miles, tout en multipliant les ruptures de ton et de style graphique (nous y reviendrons) pour mieux coller à l’évolution du musicien. De ses débuts prometteurs jusqu’à ses expérimentations les plus radicales dans les années 70, on suit un parcours marqué par une volonté d’aller toujours plus loin et de casser les codes, quitte à déranger.
Graphiquement, c’est un véritable régal. Chisholm ne cherche pas le réalisme pur, et on se délecte de pages qui explosent de couleurs lors des périodes d’innovation, se resserrent et s’assombrissent quand la santé de Miles décline. On sent une vraie maîtrise de la mise en scène musicale à travers le dessin, et on parvient presque à « entendre » certaines pages : les solos de trompette prennent corps, les ruptures de rythme s’incarnent en cases, et le silence même y est dessiné, parfois plus intense que le bruit. Ce qui impressionne également, c’est la capacité de Chisholm à parler de musique sans jargon, mais sans la simplifier à l’excès.
Il montre Miles Davis comme un homme complexe, souvent en avance sur son temps, parfois incompris, mais profondément cohérent dans sa démarche : ne jamais se répéter. Cette obsession du renouveau, cette volonté de quitter ses zones de confort, même quand elles sont couronnées de succès, sont le véritable moteur du récit. Davis y apparaît tour à tour inspiré, colérique, visionnaire, autodestructeur, mais toujours profondément engagé dans sa quête artistique. Un homme touchant sur bien des points, pour une bande dessinée qui plaira aux connaisseurs comme aux néophytes. C’est parfois un poil bavard, mais on en ressort avec cette sensation d’avoir plongé dans l’art sous toutes ses formes.
Lageekroom