Avis & critique BD : La Dent – La décolonisation selon Lumumba (éditions Glénat)
Disponible depuis le 10 septembre 2025, « La Dent – La décolonisation selon Lumumba » est un ouvrage marquant. Nicolas Pitz (au scénario) et Pierre Lecrenier (au dessin et à la colorisation) nous proposent de découvrir Patrice Lumumba, « défenseur de la justice sociale, du panafricanisme et de l’unité africaine », à une époque où le Congo était colonisé par la Belgique. Un parcours semé d’embuches aux côtés d’une figure emblématique de l’indépendance du Congo, que nous avons découvert avec cet ouvrage. C’est parti pour notre avis !
Synopsis : « J’ai découpé Lumumba », disait le mercenaire belge Gérard Soete sans état d’âme à la télévision lors d’une interview filmée en 2001. L’homme exhibait deux dents qu’il disait avoir arrachées à la mâchoire de Patrice Lumumba, premier Premier ministre de la République démocratique du Congo en 1961, quelques mois après l’indépendance de cette ex-colonie belge. Dans les années 50, Patrice Lumumba fait partie de cette infime minorité appelée « les évolués », traitée avec égards par les colons occidentaux. Intellectuel, grand lecteur, sa vision du monde évolue progressivement au contact privilégié de ces maitres du pays vers un ardent désir de bousculer l’hégémonie coloniale. Fervent défenseur de la justice sociale, du panafricanisme et de l’unité africaine, son parcours oscille entre des discours enflammés dans des grandes conférences et des emprisonnements voire de la torture. Quand en 1960, le Congo arrache son indépendance, il devient le premier chef du gouvernement du pays ! Mais la corruption, les tensions politiques internes et les ingérences étrangères menacent le jeune État congolais. Dans un contexte de guerre civile, Patrice Lumumba disparaît le 17 janvier 1961 près d’Élisabethville et devient dans le même temps un martyr de la lutte pour l’indépendance. L’ouvrage est à découvrir sur le site de l’éditeur, à cette adresse.
« Allez Patrice, voilà ce qui reste de toi »
Dès les premières cases, on apprend ce qu’est cette fameuse « dent », présente dans le titre de l’ouvrage. Relique du corps, symbole de la violence coloniale et dernier vestige physique de Patrice Lumumba, cette dent avait été conservée par un policier belge qui avait participé à la disparition de son corps, et s’en était vanté durant une interview. Un destin funeste pour un homme considéré comme un « évolué », à savoir un africain ayant adopté une partie du mode de vie européen et qui répond à certains critères fixés par l’administration coloniale (avoir un emploi stable, savoir lire et écrire en français, vivre “à la manière européenne”). Néanmoins, les « évolués » restaient soumis à une forte discrimination, et n’étaient jamais considérés comme des égaux des Belges, ce qui créait beaucoup de frustrations et de contradictions. C’est justement cette situation ambiguë qui a marqué la trajectoire de Patrice Lumumba : il avait ce statut d’évolué, mais il a rapidement compris qu’il était un outil de domination et a choisi de s’engager pour l’indépendance. On le voit évoluer, se battre pour les siens (et notamment sa famille), puis être confronté à la trahison et à la violence. Clairement, découvrir son parcours, son ascension, ses désillusions puis sa chute a quelque chose de passionnant. Le récit est historiquement détaillé mais également touchant.
On partage l’enthousiasme de Lumumba, puis ses désillusions : les rivalités politiques internes, les ingérences étrangères (Belgique, ONU, CIA…), et sa fin tragique, assassiné quelques mois seulement après son arrivée au pouvoir. Après la lecture, nous avons poursuivi nos recherches sur le sujet sur le net tant tout ça est passionnant. Et même si l’ouvrage met de côté certains événements importants pour fluidifier sa narration, l’ensemble est très solide, proposant même des interviews dans ses dernières pages. Se lancer en politique reste toujours un exercice délicat, surtout quand on a les mains liées et qu’on est surveillé de près. Visuellement, la bande dessinée a une belle identité. Les visages sont très marqués, parfois durs, avec des regards qui traduisent beaucoup d’émotions : colère, peur, espoir. On sent que l’accent est mis sur l’humain plus que sur la reconstitution minutieuse des décors, ces derniers se faisant très discrets. L’ensemble ne cherche pas à être spectaculaire mais mise sur son ambiance (grâce notamment aux couleurs) et sa mise en scène, avec des cadrages qui mettent en avant des détails symboliques, la dent en tête. Nous avons découvert ce morceau de l’Histoire avec notre bande dessinée du jour, et on ne peut que vous la conseiller si vous aimez le genre.
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