Avis : Histoire des ninjas – Hommes de main et espions dans le Japon des samouraïs
La sortie d’Assassin’s Creed Shadows a déclenché de nombreux débats, qu’on parle de son éditeur, de cette saga de jeux, ou tout simplement de l’aspect historique de cet épisode se déroulant au Japon. Oui, tous les historiens du dimanche se la sont donnés sur les réseaux sociaux, et on en a vu des vertes et des pas mûres, dans une ambiance pas toujours bien respectueuse. Aujourd’hui, il est temps de se pencher sur le sujet avec davantage de sérieux. Nous avons en effet eu la chance de découvrir l’ouvrage « Histoire des ninjas – Hommes de main et espions dans le Japon des samouraïs » de Pierre-François Souyri, grâce à son éditeur et à l’occasion de la sortie du dernier jeu d’Ubisoft. C’est parti pour notre avis !
Descriptif de l’éditeur : Avant de nourrir un mythe populaire aux multiples déclinaisons cinématographiques ou littéraires, les ninjas ont été des hommes de l’ombre. Le phénomène ninja dont il est question à la fin des temps médiévaux japonais, au temps des seigneurs de la guerre du XVIe siècle, est peu présent dans les sources de l’époque. Les termes qui leur sont associés sont ceux de vauriens, voleurs, espions, hommes de main, tueurs, incendiaires… Il ne faut pas imaginer ces gens habillés tout de noir, masqués et perchés sur un toit mais bien plutôt habillés comme les gens du terroir, se fondant dans la foule, non repérables. Ces personnages aux activités plus ou moins clandestines nous apparaissent au fond comme des espions. Au-delà des légendes nées le plus souvent aux XIXe et XXe siècles, Pierre-François Souyri retrace, à l’aide d’une nouvelle historiographie japonaise sur ce sujet, la réalité de groupes sociaux dénigrés, contraints à la guérilla dans les montagnes autour de Kyoto, développant des techniques de combat originales et qui devinrent les mercenaires des shoguns de la dynastie des Tokugawa.
Entre réalité historique et mythe populaire, les ninjas sortent de l’ombre
Avec « Histoire des ninjas – Hommes de main et espions dans le Japon des samouraïs », Pierre-François Souyri signe un essai à la fois érudit et accessible, qui est venu combler un manque dans la bibliographie francophone sur le Japon médiéval. Paru en octobre 2024 chez Tallandier, l’ouvrage propose un retour aux sources, loin des fantasmes véhiculés par la pop culture, en dressant le portrait réaliste et nuancé de ces agents de l’ombre que l’on regroupe aujourd’hui sous le nom de « ninjas ». Car c’est bien cela que vise l’auteur : démonter les mythes pour mieux comprendre la réalité historique. Dans l’imaginaire collectif, les ninjas sont ces figures tout droit sorties des mangas, des jeux vidéo ou des films d’action : hommes silencieux vêtus de noir, dotés de capacités presque surnaturelles, experts en arts martiaux, capables de disparaître dans un nuage de fumée et d’enchaîner les roulades sans broncher. Pourtant, ces représentations sont récentes, et Pierre-François Souyri s’emploie à en démontrer les origines : pour la plupart, elles remontent au XIXe siècle, voire au XXe, avec la montée du cinéma et du roman populaire japonais.
À rebours de ces clichés, l’auteur nous plonge dans le Japon des XVe et XVIe siècles, à une époque de guerres civiles et de rivalités féodales où les shinobi, plus que de véritables guerriers, étaient avant tout des espions, des éclaireurs, des saboteurs, recrutés pour des missions spécifiques par les grands seigneurs de guerre. Appartenant à des clans ruraux souvent marginalisés, ils utilisaient leur connaissance du terrain et des techniques de survie pour agir là où l’armée conventionnelle ne pouvait pas intervenir. Souyri raconte avec clarté et rigueur le rôle de ces ninjas dans la société de l’époque : comment ils ont été utilisés, perçus (souvent avec méfiance, voire mépris), et surtout, comment ils ont peu à peu été récupérés par le pouvoir, notamment sous le règne des Tokugawa, pour servir des intérêts politiques. Le récit est ponctué de nombreuses anecdotes historiques, extraites de chroniques anciennes et de documents d’archives, qui viennent nourrir une analyse critique du phénomène.
Ce qui fait la force du livre, c’est aussi son regard porté sur la construction du mythe : comment le Japon moderne a redonné vie aux ninjas en les transformant en symboles nationaux, souvent au service d’une certaine nostalgie d’un Japon fort et mystérieux. L’auteur explore ainsi les passerelles entre l’histoire, le folklore, et la fiction contemporaine, jusqu’à évoquer les figures connues de la culture populaire comme Naruto ou, et cela nous concerne tout particulièrement, les jeux Assassin’s Creed, pour lesquels il a d’ailleurs été consultant. Clairement documenté, vivant dans son style, parfois presque romanesque, « Histoire des ninjas » se lit aussi bien comme une leçon d’histoire que comme une aventure critique à travers les époques et les récits. C’est un ouvrage à clairement recommander pour qui s’intéresse au Japon féodal, aux marges de la guerre, ou tout simplement à la manière dont l’histoire peut être transformée en légende.
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