TEST : Liberated, que vaut l’Enhanced Edition sur Nintendo Switch ?
En 1995, l’univers de la BD et celui du jeu vidéo avaient fusionné dans Comix Zone pour offrir un beat them up de qualité à la Mega Drive. En 2006, Konami proposait aux possesseurs d’une PSP sa Silent Hill Experience, un UMD rassemblant plusieurs éléments en rapport avec la licence, dont une BD interactive. Le rapprochement des deux médiums, s’il est assez rare, n’est pas inédit pour autant. Néanmoins, le studio polonais Atomic Wolf a voulu s’engouffrer dans la brèche pour proposer en juin 2020 aux joueurs Nintendo Switch son Liberated, un jeu d’action et d’aventure prenant place dans une BD interactive. Quelques mois plus tard, il proposait une Enhanced Edition offrant entre autres des doublages anglais et deux bonus. Justement, c’est de cette dernière version que nous allons vous parler dans les lignes qui suivent puisque c’est celle-ci qui a eu le droit à une édition physique proposée en quantité limitée (3000 exemplaires) par PixelHeart (à découvrir à cette adresse).
Nous sommes en 2024, dans un futur très proche qui se veut être une version dystopique de ce qui nous attend… Sauf que pas tant que ça puisque la dystopie ne s’attarde que sur un système un peu plus poussé de celui des crédits sociaux qui existe déjà en Chine. Pour le reste du scénario, malgré des dialogues majoritairement bien écrits, il suffit de mélanger les poncifs du genre avec des inspirations venues d’un croisement entre Banlieue 13 et Person of Interest. Malgré quelques nuances un peu forcées aux discours portés, on sent cet aspect moralisateur sur les dérives d’une société qui préfère suivre aveuglément un gouvernement au nom de la sécurité plutôt que d’essayer de se battre pour la liberté. Bref, rien de nouveau sous le soleil et on assiste avec deux gros angles de vue à la bataille que mènent le gouvernement et ses forces de l’ordre face à Liberated, un groupuscule de rebelles hackers qui ne sont pas sans rappeler vaguement les Anonymous. C’est dommage que le discours manque de subtilités et que les quelques cliffhangers plutôt intéressants soient assez rapidement téléphonés. Le récit n’est pas une purge pour autant, n’allez pas nous faire dire ce que nous n’avons pas dit, mais il se contente du minimum syndical sous couvert de quelques réflexions pataudes sans ne jamais rien apporter à des formules déjà existantes. Néanmoins, les moins fines bouches se laisseront prendre au piège et auront plaisir à découvrir les quatre numéros qui composent l’aventure principale.
En plus, l’ensemble se parcourt assez rapidement puisqu’il nous a fallu un peu plus de trois heures pour en voir le bout, en comptant une petite demi-heure passée sur les deux récits bonus qui sont à découvrir une fois l’aventure principale parcourue. Etonnamment, ces ajouts propres à la Enhanced Edition viennent compléter l’histoire, tout en donnant un peu plus de consistance à l’un des personnages et appuyant encore un peu plus sur la perversion de l’utilisation d’un tel système et les manigances d’un gouvernement pour l’utiliser à ses propres fins. Un petit plus sympathique. De même, il est agréable de profiter dans cette édition de doublages anglais assez satisfaisants qui donnent clairement de la vie à cette BD interactive. Les musiques et les bruitages accompagnent quant à eux l’action, sans plus. Visuellement, Liberated est un peu déroutant. Avec ses dessins tout en niveaux de gris qui ne s’embarrassent pas des détails, le premier contact n’est pas plus accrocheur que ça. Pourtant, une fois immergé dedans, on voit que le style lui sied bien, un certain charme émanant même de ces « gueules cassées » que l’on va croiser, des onomatopées qui surgissent pour accompagner certains bruitages (comme lors des tirs) ou de ces éléments au style assez angulaire qui donnent un côté brut au dessin, renforçant la noirceur du récit. BD Interactive oblige, le joueur suit l’histoire au travers de bulles plus ou moins animées, profitant d’un récit vivant, tout en ayant bien l’impression de lire une BD ou un comics.
Seulement voilà, les phases de gameplay détonnent. Les modèles 3D sont très sommaires et, si le style du reste des vignettes est bien respecté, il faut reconnaître que c’est moins sexy à l’œil, sans parler de la rigidité des animations qui fait tache. Et ce n’est pas le gameplay qui rattrape l’ensemble. Même si on est amené à incarner plusieurs personnages (un pour le chapitre 1, un pour les chapitres 2 et 3 et trois dans le chapitre 4), quasi tous se jouent de la même façon (on a un pacifiste incarné brièvement dans le dernier chapitre qui ne sort pas d’arme). On peut courir, marcher lentement pour se rendre silencieux, se cacher avec X à certains endroits bien définis ou dégainer une arme imposée aux munitions illimitées (pistolet, uzi, pompe, mitraillette selon la situation) pour shooter sur les adversaires humains (avec ou sans casque de protection et/ou gilet pare-balles) et sur des drones. Concrètement, dans le premier cas, viser la tête est un gros plus. Si les joycons, loin d’être réputés pour leur précision, ne nous ont pas posé trop de problèmes, exception faite de la scène de l’ascenseur dans le chapitre 3, c’est parce que l’I.A. est nulle.
A moins d’être très peu attentif ou de se laisser surprendre au niveau d’une porte ou en étant masqué à cause d’un élément de décor mis au premier plan (ça arrive), il suffit concrètement d’avancer et de tirer sur tout ce qui bouge pour progresser sans la moindre difficulté, le trait de visée aidant fortement à tirer de loin. C’est même bien plus facile que de tenter d’approcher furtivement, de se cacher et de faire une élimination silencieuse avec Y au moment opportun (ce qui fonctionne également en arrivant à pas feutrés dans le dos de l’ennemi). Les intéressés peuvent même opter pour le mode Lecteur afin de se rendre la vie encore plus facile lors des phases d’action (plus de résistance, visée assistée, etc.). Le souci, c’est que le gameplay se résume majoritairement à ça, exception faite d’une poignée d’énigmes façon piratages qui sont plutôt agréables et de quelques QTE aléatoires oubliables. C’est un peu dommage car si la progression n’est pas désagréable, elle ne se renouvelle pas assez.
L’idée de mélanger grosso modo du Deadlight avec du INSIDE/LIMBO était pourtant séduisante sur le papier… De même, dès le début, on se retrouve à faire quelques choix, ce qui parait super prometteur. Puis on se rend compte que l’impact est négligeable et qu’ils se raréfient jusqu’aux deux dernières pages du quatrième chapitre. Même le premier chapitre bonus, qui demande de presser A pour interagir impose les choix au joueur. On gagne en fil de narration ce que l’on perd en liberté. Et c’est bien là que le bât blesse puisque Liberated ne nous laisse finalement jamais vraiment libres d’interagir avec la BD, en dehors des phases de gameplay, et ce même lors des phases de QTE qui mènent à recommencer la vignette en cas d’échec. Pour en finir avec les frustrations, on note que le chapitre 1 de la BD est assurément le mieux construit. Il offre un bon équilibre entre le gameplay, la lecture interactive et les phases de QTE/mini-jeux. Le Chapitre 4 s’en sort plutôt bien également. Le souci, c’est que les chapitres 2 et 3 sont bien moins construits. On commence la lecture et ensuite on enchaîne un gros passage d’action non-stop avant de finir sur quelques vignettes de lecture. Pire, le chapitre 2 use et abuse d’interrupteurs à actionner et de caisses à pousser pour donner un semblant de phases de plateforme, là où le chapitre 3, avec son guidage par un agent à la radio, fait office de tutoriel qui arrive bien trop tard. C’est dommage parce que tous ces éléments montrent un jeu à la qualité inégale, qui arrive aussi bien à séduire sur certains points (exemple supplémentaire : les transitions) qu’à décevoir sur le reste (exemple supplémentaire : les quelques saccades en fin de page ou lors d’un changement de vignette).
Liberated pourra aussi bien séduire les amateurs de BD pas très regardants que faire fuir les fans plus exigeants. Partant d’une belle idée et se dotant d’une direction artistique assumée, le jeu d’Atomic Wolf enchaîne les bulles plutôt bien écrites pour conter une fable au sujet d’un futur proche dystopique qui ne l’est pas tant que ça. Hélas, de belles bulles alignées les unes derrière les autres ne suffisent pas à faire une belle histoire. Si on apprécie la noirceur de celle-ci et cette volonté de montrer le point de vue des deux forces en présence, on est fortement déçu de voir que les développeurs sont tombés dans le piège grossier de l’accumulation des poncifs. Pire, la construction des chapitres 2 et 3 est à revoir, le premier étant finalement le plus satisfaisant et le plus équilibré. D’un côté, on regrette que le gameplay n’arrive pas à évoluer et que lorsqu’il tente d’apporter un peu de diversité, or QTE oubliables et énigmes réussies, c’est pour demander majoritairement d’aller allumer des interrupteurs et de pousser des caisses pour quelques phases de plateforme dont l’intérêt est limité par des animations bien trop rigides. Liberated est un jeu qui a du potentiel, qui a gagné quelques points avec les doublages anglais réussis et les deux chapitres bonus qui sont assez intéressants, mais qui doit encore être travaillé sur bien des points. Dommage, parce qu’on lui concède un certain charme et qu’on a finalement pris un certain plaisir à en voir le bout mais à l’heure du bilan, il est difficile de passer l’éponge sur ses nombreux défauts qui en rebuteront plus d’un.
Les +
- Un style visuel qui lui sied bien
- Le côté BD interactive est sympa
- Les bonus de l’Enhanced Edition (doublages et 2 chapitres en plus)
- Des dialogues plutôt bien écrits
- Des énigmes plutôt agréables
- Le mode lecteur pour ceux qui veulent
- Des transitions soignées
- Quelques bonnes idées (dont le système de choix)…
Les –
- … Jamais vraiment exploitées
- QTE aléatoires oubliables
- Une difficulté au ras des pâquerettes ou presque
- Un scénario qui use et abuse de poncifs
- Un gameplay qui ne se renouvelle pas
- Des défauts de construction du récit
- Le choix de ne pas avoir vraiment de choix
- Animations raides
Test rédigé par Vincent – Lageekroom