TEST : Shenmue III, 18 longues années pour un résultat à la hauteur ?
Lorsque j’ai inséré mon disque de Shenmue III dans ma PlayStation 4, il s’est passé quelque chose. Un geste presque irréel, pour un jeu attendu depuis 18 longues années, soit la moitié de ma vie. Je fais partie des joueurs ayant découvert la saga sur Dreamcast. J’ai terminé les 2 premiers jeux, je les ai dévoré même, et la fin de Shenmue II m’avait forcément laissé en suspens. Seulement voilà, je ne m’attendais pas à ce que la console de Sega soit si tôt abandonnée et à ce que la saga de Yu Suzuki sombre dans les limbes. Jusqu’à ce fameux E3 2015, lors duquel la campagne Kickstarter de Shenmue III a été lancée. Il me restait donc encore quelques années à attendre, à avoir peur, à lire fébrilement les avis des journalistes ayant testé le jeu avant tout le monde, pour enfin pouvoir se lancer dans l’aventure. J’ai pris mon temps, terminé le jeu, et il est temps que je vous en parle !
Je n’ai pas pour habitude de critiquer les tests de la presse. Chacun a le droit d’aimer ou non un jeu et la liberté d’expression est très importante à mes yeux. Seulement voilà, concernant Shenmue III, j’ai décidé de rebondir sur certaines critiques. Est-ce ma passion pour ce jeu qui parle ? Peut être, mais je vous promets que je vais rester un maximum objectif en vous parlant de ce Shenmue III. Je n’ai lu qu’en diagonale les tests du jeu avant de me lancer dans ma propre aventure, pour ne pas me spoiler. Et d’emblée, j’avais du mal à comprendre ce que je lisais : on parle de rythme lent, de contraintes liées à la vie de Ryo (manger, dormir, attendre une heure précise pour un rendez-vous), d’un aspect enquête longuet… Bref, tout ce que l’on encensait à l’époque ! Les temps changent, et les mentalités évoluent. Le jeu vidéo d’aujourd’hui n’est plus le même qu’il y a 20 ans, et on a tendance à prendre le joueur par la main et à lui donner rapidement ce dont il a besoin. Forcément, une certaine catégorie de joueurs va avoir du mal à appréhender Shenmue III, qui fait ce qu’il sait le mieux faire : du pur Shenmue.
L’histoire de Shenmue III débute dans la grotte dans laquelle Ryo et Shenhua découvrent les immenses fresques représentant les miroirs. Notez qu’une vidéo récapitulative est disponible et revient sur les 2 premiers opus de façon plutôt claire. Nos 2 héros vont rejoindre le village de Bailu, à la recherche du père de la jeune fille, un tailleur de pierres ayant un lien étroit avec la création des miroirs. On retrouve d’emblée l’esprit Shenmue : ces paysages bucoliques, cette musique qui reste en tête et ce rythme si particulier et contemplatif. On remarque rapidement que la jauge de vie de Ryo, qui représente également son endurance, diminue lorsqu’il se met à courir ou effectue une action. Dans Shenmue III, il va falloir se nourrir régulièrement, et veiller à ce que l’on soit prêt avant un combat pour ne pas le débuter avec un tiers de sa jauge de vie. Une contrainte certes, mais en adéquation avec ce que Yu Suzuki propose depuis le début de la saga. Se plaindre du fait de devoir manger montre que les premiers testeurs du jeu ont rushé l’histoire sans prendre leur temps. Il suffit se s’entraîner de manière régulière sur des mannequins en bois ou de participer à des entraînements et des combats pour augmenter son endurance et ne plus être embêté. Tout ceci est contraignant ? Un peu au début, mais n’oubliez pas que dans le tout premier Shenmue, il fallait rentrer à la maison en courant pour sauvegarder, ou bien attendre sagement devant un magasin durant plusieurs heures pour qu’il ouvre. Dans ce Shenmue III, les contraintes d’heure ne sont d’ailleurs plus d’actualité, car il est possible d’avancer le temps jusqu’à un rendez-vous, ou pas… Vous pourrez utiliser votre temps libre pour découvrir l’environnement, parler aux personnages, vous entraîner et apprendre des techniques, effectuer des quêtes secondaires ou tout simplement passer du temps avec Shenhua.
Dans Shenmue III, on prend son temps. Différentes activités comme la pêche et de nombreux mini-jeux vous permettront de gagner de l’argent. Certains se plaignent de devoir couper du bois pour gagner quelques sous, nécessaires à progresser dans l’aventure. C’était déjà le cas dans Shenmue II par exemple, dans lequel le travail au port le matin durait de nombreuses heures, et dans le premier opus et son désormais culte chariot élévateur. Pour vous aider, sachez que vous aurez besoin de 2000 yuan pour une missions importante à Bailu et de 5000 yuan (outch…) pour un achat capital à Naiowu, la seconde ville du jeu, bien plus imposante. Petite astuce : pensez bien à ramasser un maximum de plantes, car celles-ci seront une source de revenue non négligeable ! Entre 2 activités, Ryo n’en oubliera pas sa quête principale : retrouver Lan-Di, le meurtrier de son père. Mais avant cela, il faudra se frotter aux lascars du coin, et participer à des combats et quelques QTE.
Le système de combat a été modifié dans cet opus, et demande un certain temps d’adaptation, afin de bien gérer les esquives pour placer vos attaques, à améliorer lors de combats d’entraînement. On notera que les chopes ont disparu, et que le tout demande un timing plus pointu qu’auparavant. Sachez que si les premiers combats vont vous sembler décevants, tout s’arrange par la suite avec le gain de puissance de Ryo et l’achat de nouvelles techniques. Malgré tout, on regrettera que les affrontements manquent d’impact et de punch. Revenons un instant sur les QTE, pour préciser qu’ils font pâle figure dans cet opus : en plus de n’avoir aucune conséquence qu’on les réussisse ou non, ils sont hyper chauds et beaucoup trop serrés au niveau du timing. Les réussir du premier coup relève presque de l’exploit, ce qui gâche clairement l’intensité du moment.
J’attendais de pied ferme l’histoire de Shenmue III, et il faut avouer que le scénario progresse trèèèèès lentement. Ryo devra parler aux habitants et leur demander des informations pour progresser, et certains vont vous faire tourner en bourrique (« je veux bien t’aider mais va me chercher ça d’abord »). Après avoir commencé le jeu en anglais, j’ai rapidement switché pour les voix japonaises, nettement meilleures et dans le ton. Il y a malgré tout de nombreuses incohérences, notamment lorsqu’un personnage vous dit bonjour alors que venez de taper la causette avec lui. C’est dommage, et ça casse un peu l’immersion, tout comme le fait que l’action se passe en Chine mais que tout le monde parle japonais. Cette Chine là, c’est la Chine vue par Yu Suzuki, ça ne fait aucun doute. Malgré tout, j’ai pris plaisir à me balader partout et parler à un maximum de personnages, dont des enfants souvent attachants. L’ambiance de Bailu tranche avec la ville de Naiowu, bien plus riche et aux nombreuses boutiques. J’ai passé des heures entières à errer dans les rues, à regarder en détail le moindre temple, à acheter tout et n’importe quoi, à participer à des combats en pleine rue pour gagner quelques billets, ou à dénicher les coins de pêche les plus apaisants. Prendre son temps est la marque de fabrique du jeu, et une nouvelle fois, si vous comptez le rusher comme la plupart des testeurs, vous passerez à côté de l’essence même du jeu. Petit instant émotion : il est possible, via le téléphone de votre hôtel, d’appeler vos anciens amis rencontrés dans les jeux précédents. Des images de l’époque viennent s’incruster sur l’écran, pour des moments clairement émouvants.
Alors oui, le jeu a de nombreux défauts, et il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas les citer. La plupart sont liés au manque de budget du titre et à sa très longue période de gestation, mais également à des choix peu inspirés de Yu Suzuki, qu’on a connu plus en forme. On sent d’ailleurs que le créateur de Shenmue ne joue pas aux jeux vidéo… Shenmue III est parfois inutilement complexe, et demande par exemple de réaliser pas moins de 3 actions pour ouvrir un simple tiroir (zoomer, appuyer, puis appuyer à nouveau), la mise en scène n’est pas toujours inspirée (problèmes de caméra ou de faux raccords), le jeu oblige à effectuer de nombreux allers-retours qui au final auraient pu être évités, et surtout, les révélations sont trop peu nombreuses. Ces défauts sont les mêmes qu’à l’époque, et les retrouver en 2019 peut sembler frustrant… Mais on s’y fait, parce que l’existence même du jeu est un petit miracle, parce que la relation entre Ryo et Shenhua est belle et touchante, mais toujours dans la réserve, et parce que l’ambiance est absolument incroyable.
Souvent décriés, les graphismes de Shenmue III sont, contrairement aux avis de la presse lors de certaines previews, tout à fait convenables. Du côté des choses qui fâchent, on parlera de certains visages vraiment vilains (qui ressemblent limite à des caricatures) ou de quelques textures sortant tout droit de la Dreamcast, sans parler de la raideur de Ryo ou des personnages qui apparaissent d’un seul coup devant vous. Mais d’un autre côté, on appréciera les couleurs, les effets de lumière liés au temps qui passe, le coucher de soleil, les torches qui éclairent la nuit… A mes yeux, Shenmue III est souvent très beau, et certains panoramas font clairement rêver. Les soucis techniques sont là, mais passent en seconde plan face au plaisir de jeu et à la cohérence visuelle de l’oeuvre de Yu Suzuki. L’histoire de Ryo nous prend aux tripes, et même si elle n’avance que très peu et que la plupart des rencontres sont moins développées que dans les opus précédents, il me tarde de connaitre (un jour, je l’espère) la suite !
Mes quasi 30 heures passées dans Shenmue III ont été fabuleuses, un rêve devenu réalité qui aurait pu devenir un cauchemar selon certains, mais ce n’est pas du tout le cas. Shenmue III ne cherche pas à faire autre chose que du Shenmue, et propose une ambiance incroyable digne de certains films de Kung-fu, le tout mâtiné de vengeance. ll faut prendre le jeu pour ce qu’il est : une expérience contemplative dans laquelle il faut prendre son temps. Si vous entraîner durant quelques heures vous fait peur, passez votre chemin ! Mais si vous cherchez un jeu immersif, qui propose des contraintes logiques et des mécaniques de jeu qui changent de l’ordinaire, alors vous êtes au bon endroit ! Shenmue III est un jeu comme il en existe peu, et qui n’est pas, comme l’affirment certains journalistes, bloqué 20 ans dans le passé. Ce sont peut-être eux qui sont bloqués dans un présent dans lequel la magie a disparu. Le jeu de Yu Suzuki n’est pas toujours très inspiré, moins bon que les 2 premiers opus sur de nombreux points, mais j’ai pour ma part vécu un moment magique, et pour en avoir parlé avec de nombreux joueurs, je suis loin d’être le seul !
Les +
- la campagne de Bailu, calme et apaisante
- la ville de Naiowu
- l’ambiance, excellente
- les musiques, dont certaines restent en tête
- activités secondaires nombreuses
- pouvoir parler à quasi tous les personnages
- un rythme lent et contemplatif qui fait du bien
- le système de combat remanié
- la direction artistique
- de très beaux effets graphiques
- la relation entre Ryo et Shenhua
- Ryo va faire de chouettes rencontres
- la dernière heure, intense !
- l’existence même du jeu est un petit miracle
Les –
- les QTE, trop tendus et sans conséquence
- le doublage anglais, ultra cheap
- certains visages sont vraiment laids
- tout comme certaines textures
- quelques couacs techniques et des animations rigides
- trop peu de révélations
- verra t’on la suite un jour ?
Panzer – Lageekroom
Ton test est juste super, pertinent et lucide. Je n’ai fait que une partie du 1er, mais je te rejoins sur ces testeurs qui deviennent tout aussi aseptisés que les jeux actuels. Les « gamers » de maintenant sont assistés, la difficulté a disparu et il faut juste fixer un radar pour finir et platiner un jeu. Shenmue renoue avec le vrai gaming, l’effort puis la récompense, et comme tu l’a si bien dit, la contemplation, le moment présent.
Certes moins bon que ses prédécesseurs mais tout aussi prenant. 20 ans après la magie opére toujours et je suis redevenu le gamin de l’epoque émerveillé devant sa dreamcast. Au diable la technique, je le trouve magnifique et la bande son est toujours aussi magique. Après l’avoir fini je n’ai envie que d’une seul chose: y rejouer encore.
Vivement le 4.