Avis Urban Comics : Joker, le Prince du Crime est de retour
C’est en 2008 que Brian Azzarello et Lee Bermejo ont sorti Joker, un roman graphique centré sur le clown le plus célèbre de l’écurie DC Comics. Comme il s’agit d’un one shot inscrit dans un univers alternatif, il n’y a pas besoin d’avoir lu d’autres comics pour pouvoir en profiter. La particularité de cet ouvrage, arrivé après un certain The Dark Knight mettant en scène un Joker (incarné par Heath Ledger) époustouflant, c’est qu’il prend le parti de donner une vision très réaliste du personnage. En 2013, nous avons pu le découvrir chez Urban Comics dans la collection DC Deluxe, ajoutant quelques travaux de recherches visuelles et une double-page sur Joker et Lex (Luthor). Aujourd’hui, Urban Comics remet ça en proposant une nouvelle édition de Joker dans la collection DC Black Label, surtout qu’un certain Joker avec Joaquin Phoenix ne va pas tarder à arriver dans nos salles obscures (9 octobre). L’occasion pour nous de vous parler de cette œuvre…
On ne va pas se mentir, Joker est avant tout une œuvre visuelle. Lee Bermejo a encore une fois assuré des desseins superbes avec un véritable travail sur les ombrages. Il sait créer des « gueules » et il a parfaitement réussi à dépeindre la noirceur de Gotham. Mieux, il a assuré l’encrage sur une vingtaine de planches qui offrent un rendu peint sacrément classe, donnant un effet réaliste totalement saisissant qui tend presque parfois vers l’hyperréalisme. Les autres planches ont en revanche été encrées par Mick Gray, ce qui explique une qualité plus en dents de scie sur le reste de l’ouvrage. Qu’on ne se méprenne pas, les desseins sont très réussis mais les propositions de Mick Gray au niveau de l’encrage sont inégales et rarement au niveau de ce que peut faire Bermejo. Les aplats ou la simplicité de certaines colorisations renvoient à des comics plus classiques. Le résultat, c’est une petite incompréhension pour le lecteur au niveau de ces deux styles qui se tutoient, s’entrelacent et parfois jurent un peu l’un avec l’autre. Avec le recul, nous savons qu’il y avait une véritable intention artistique pour varier le rythme mais certains pourraient sortir de la lecture à cause de ça. Toujours est-il qu’on a les pages de Bermejo qui attirent la rétine et les autres en collaboration avec Mick Gray qui laissent plus de place à la lecture. On en vient donc au scénario…
Brian Azzarello s’est servi d’une facilité scénaristique pour introduire son récit. Le Joker est libéré de l’asile d’Arkham. Pas d’évasion, pas d’effusion de sang… pas vraiment d’explications non plus. On comprend qu’il n’est plus considéré comme fou, quelques allusions aux médicaments allant dans ce sens. Bref, toujours est-il qu’il est libre et qu’il est accueilli par Jonny Frost, un petit voyou qui compte se hisser au sommet et avoir la grande vie en côtoyant le Joker. Il devient donc son chauffeur et, par la même occasion, le narrateur du récit. L’auteur a préféré offrir un regard extérieur pour saisir toutes les nuances du Joker plutôt que d’en faire le narrateur de sa propre histoire, ce qui serait incompatible avec sa folie. L’idée est plutôt bonne même s’il faut avouer que Jonny Frost n’a aucun charisme et n’apporte pas grand-chose à l’histoire. Brian Azzarello en joue d’ailleurs en faisant remarquer ce fait au travers de quelques remarques. Comme l’œuvre s’appelle Joker, ne vous attendez pas à une forte présence de Batman. Évoqué à de rares reprises par « lui » ou « il », il reste une créature de l’ombre qui tient presque de la légende. Ce n’est qu’à la toute fin que le chevalier noir intervient pour un final plutôt plaisant. Le reste du temps, le scénario se veut plutôt classique, se contentant finalement de montrer un Joker qui a soif de pouvoir et de revanche. Il veut récupérer ce qui lui appartient et n’hésite pas à faire preuve de sadisme, de violence, voire pire, pour arriver à ses fins.
L’auteur joue sur la notion de folie pour toujours faire douter les personnages, dont Frost, et par extension le lecteur. Est-il vraiment fou ? Ou n’est-ce qu’un psychopathe prêt à tout pour avoir ce qu’il veut ? Dénué de sens moral, le Joker voit la mort comme la chute de la blague. Ce n’est pas nous qui le disons mais un Dent qui en vient à prendre des choix risqués… Le Joker tue, il ne se soucie de rien, il prend ce qu’il veut prendre et il joue avec ses sujets. Tout est très réaliste, même Croc qui devient un personnage de couleur à la peau écaillée. Le Sphinx, le Pingouin, Dent (très réussi) et même Harley Quinn (il y a deux incroyables visuels d’elle) sont présents pour faire un petit tour des vilains de l’univers de Batman. Le Joker, à sa façon, inculque la peur chez les autres, un peu à l’image de Batman dans le fond. On ne sait pas toujours ce qu’il cherche, il y a même des vignettes qu’on ne comprend pas forcément, comme celle où il pleure, si ce n’est pour montrer un autre aspect du personnage, un côté plus fragile. Dans le fond, malgré deux ou trois blagues qui sont loin de faire travailler les zygomatiques, on trouve un Joker qui perd tout le côté fun que certains apprécient. En fait, on en vient même à hésiter, à se demander s’il est vraiment génial dans son domaine, si sa folie ce n’est pas finalement de suivre ses règles ou s’il n’est finalement que ce psychopathe dont on parlait un peu plus haut qui n’est animé que par le contrôle et la violence. On ne reconnaît pas toujours les versions du Joker que l’on connaît, sûrement dû à cet aspect très réaliste, mais ça reste une autre présentation, une idée confinée dans une bulle que l’on a le temps de découvrir et d’apprécier ou non.
Que ce soit la version originale, l’édition de 2013 ou cette nouvelle édition de 2019 quasi identique à celle de 2013 (seul le format change un chouïa), Joker divise. Ce qui est sûr, c’est qu’on a des dessins signés Lee Bermejo qui sont magnifiques. Il travaille sur les ombrages, il instaure une ambiance sombre et fournit des « gueules » qui confèrent aux super vilains leur statut de super vilains. Tous les personnages ont été traités de manière réaliste et il en ressort des visuels très agréables avec une certaine maturité. Certaines vignettes sont sanglantes, parfois c’est même trash, mais ça procure un plaisir malsain. C’est d’autant plus vrai sur les planches entièrement réalisées par Bermejo, avec leur traité façon peinture extrêmement intéressant. Les autres planches encrées par Mick Gray sont plus en dents de scie, certaines étant très réussies et d’autres très banales. Là où ça divise donc, c’est dans le traitement du scénario. Certains n’y verront qu’une petite plongée dans le quotidien d’un Joker froid, sadique et violent loin des versions habituelles des comics, le tout avec un scénario assez banal… Là où d’autres se laisseront happer par l’histoire d’un Jonny Frost assez transparent qui sert de vecteur pour mettre en avant les nuances d’un Joker qu’on ne comprend pas toujours, si tant est que lui-même se comprenne. Dans tous les cas, ce roman graphique mérite que l’on s’y intéresse, au moins parce qu’il apporte une vision du Joker avec un véritable parti-pris. Néanmoins, il est loin d’être un indispensable comme peut l’être The Killing Joke.
Article rédigé par Vincent – Lageekroom