Avis Manga Kana : Ma Vie en Prison, de Kim Hong-mo (one-shot)
L’auteur coréen Kim Hong-mo a fait son retour aux éditions Kana au printemps 2020 avec Ma Vie en Prison, un récit autobiographique se déroulant dans la Corée du Sud des années 90, et plus particulièrement dans le milieu carcéral. Ne vous fiez pas à la couverture un peu froide de l’ouvrage, car Ma Vie en Prison parvient à faire passer des messages forts et intéressants, mais s’avère également étonnamment attachant. Nous avons découvert ce one-shot en cette fin d’année grâce aux éditions Kana (que l’on remercie chaleureusement), et avons décidé de vous en parler. C’est parti !
Synopsis : Corée du Sud, mai 1980. En pleine période d’instabilité politique, des manifestations d’étudiants et de syndicats réclament la fin de la corruption et la révélation des malversations de l’état. Le gouvernement militaire sud-coréen leur oppose une répression violente. À Gwangju, 6e plus grande ville de Corée du Sud, l’armée avec le soutien de la loi martiale perpètre un véritable massacre : 163 morts, 166 disparus et plus de 3 000 blessés. 17 ans plus tard, révolté quand il se rend compte de la gravité de ces faits et de l’impunité de leurs responsables, Yongmin, jeune dessinateur et étudiant à l’université de Hongik, délaisse ses études pour rejoindre les mouvements étudiants de protestation, réclamant justice. Lors d’une manifestation, il est arrêté par la police et incarcéré. Il rejoint alors une cellule où il va devoir se familiariser avec les gangsters, meurtriers et autres détenus de droit commun !! L’auteur nous offre une plongée dans l’histoire contemporaine de la Corée du Sud. Mais c’est surtout une saine piqûre de rappel : la liberté d’expression est un droit chèrement acquis et qui n’est jamais irrévocable ! L’ouvrage est à découvrir sur le site de l’éditeur, à cette adresse.
Yongmin a le cœur lourd… Assis dans le bus le conduisant en maison d’arrêt, le jeune étudiant regarde le décor défiler derrière la vitre. Il éprouve un mélange de peur, de honte, mais également de révolte, vis à vis d’un gouvernement dictatorial qui le prive de toutes ses libertés. Les premières page de notre ouvrage du jour donnent le ton, et les explications sont nombreuses pour bien nous faire comprendre le contexte politique de la Corée du Sud dans les années 90, même si tout a commencé en mai 1980 lors de la répression violente du gouvernement militaire envers les manifestations étudiantes. Le ton est grave, et Yongmin va rapidement découvrir sa cellule et les règles qui lui sont imposées. Contre toute attente, l’accueil est chaleureux, et le jeune étudiant débarque avec un groupe de papys accueillants. Mais cela va être de courte durée, et Yongmin va être transféré dans une autre cellule, remplie de gangsters. Alors que l’on commence à avoir peur pour Yongmin, qui se demande où il vient de mettre les pieds, nous allons découvrir une aventure humaine puissante, avec des personnages atypiques, forts en caractère et souvent attachants. Page après page, on s’intéresse à nos personnages, à leurs passés respectifs et leurs motivations. Vivre en communauté et dans ces conditions est une épreuve, mais ils se serrent les coudes, et on suit avec attention l’évolution de Yongmin, qui va faire preuve d’un sacré caractère, allant même jusqu’à organiser une grève de la faim pour améliorer les conditions de détention de ses camarades. On vit donc la routine carcérale des ces personnages, les balades, les repas et les confidences de chacun. Yongmin gagne en maturité à mesure que les semaines passent, lui qui ne parvient pas à garder son calme lorsqu’il passe en appel, repoussant systématiquement sa peine. Le régime politique est remis en cause, et les motivations de Yongmin pour faire bouger les choses se comprennent facilement. Ses revendications prennent de l’ampleur, allant même jusqu’à toucher les femmes dans le bâtiment voisin. Même ses camarades gangsters, que l’on craignait à son arrivée, se joignent à lui dans sa lutte et se révèlent plus humains qu’ils n’en avaient l’air. Ce combat pour la démocratie est accrocheur, et l’espoir occupe une place toute particulière dans la narration, prenant parfois le pas sur les conditions difficiles de détention.
Le manhwaga (mangaka coréen) Kim Hong-mo maîtrise son sujet (il nous raconte sa propre histoire) et la narration est fluide, alternant entre les séquences au présent dans la maison d’arrêt et des flashbacks montrant comment Yongmin en est arrivé là. L’immersion est excellente, et on souffre en même temps que nos héros, qui doivent tenir malgré des gardiens pas toujours bien réglos et des cellules petites et inconfortables. Mais les personnages sont attachants et souvent touchants, et nous montrent qu’ils sont avant tout des êtres humains. Certains ont été condamnés pour de bonnes raisons, certes, mais cela ne nous empêche pas de nous attacher à eux. Kim Hong-mo s’exprime donc avec justesse tout au long de l’ouvrage, faisant passer des messages forts avec cette volonté de balancer un bon gros coup de pied dans un système politique pas toujours très propre. Visuellement, le tout est vraiment atypique, et il faudra quelques pages pour bien se mettre dans le bain et se faire au style visuel. Le découpage manque parfois de dynamisme, avec de nombreuses petites cases, mais les visages expressifs et le coup de crayon précis de certaines grandes illustrations sont à saluer. Le style ne plaira à tout le monde, mais il a le mérite d’apporter une certaine originalité. Les textes sont quant à eux parfois nombreux, mais jamais barbants, et décrivent le contexte et les personnages avec justesse.
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Ma Vie en Prison est une belle surprise, et nous remercions une nouvelle fois les éditions Kana pour la découverte ! Nous avons conscience que le style visuel ne touchera pas tout le monde, mais il serait dommage de passer à côté de cette histoire plus qu’accrocheuse. L’aspect politique et la dénonciation du système sont présents, mais l’histoire de Yongmin et de ses compagnons de cellule est avant tout humaine. L’auteur nous décrit avec justesse son histoire, peuplée de personnages atypiques et souvent touchants. On ne voit pas le temps passer lors de la lecture, et on ressort un peu chamboulé. Franchement, c’est une belle réussite !
Lageekroom