Avis Manhua : Le fils de Taïwan – Tomes 1 à 4 (éditions Kana)

Nouveauté 2023 dans la collection Made-In des éditions Kana, « Le fils de Taïwan » est un récit écrit par Yu Pei-Yun et dessiné par Zhou Jian-Xin, qui revient sur l’histoire moderne de Taïwan en compagnie d’un personnage ordinaire. L’histoire contiendra 4 volumes, qui sortiront tous en 2023 (mai, août et décembre 2023 très exactement), et nous avons eu la chance de découvrir le premier tome, disponible depuis le 3 février dernier. C’est parti pour notre avis !

– Mise à jour de l’article avec notre avis sur le tome 2, disponible le 26 mai 2023 –

– Mise à jour de l’article avec notre avis sur le tome 3, disponible le 25 août 2023 –

– Mise à jour de l’article avec notre avis sur le tome 4, disponible le 12 janvier 2024 –


Avis Manhua : Le fils de Taïwan - Tome 1 (éditions Kana)Synopsis : Le personnage principal de ce livre, Kunlin Tsai, est né à Taïwan en 1930. Il a vécu différentes époques, depuis l’occupation japonaise de l’île jusqu’à après la levée de la loi martiale, en passant par l’arrivée à Taïwan du gouvernement nationaliste chinois et la Terreur Blanche. D’un style épuré, ce livre mêle le chinois mandarin, le taïwanais et le japonais ; il cisèle les vicissitudes de la vie, faisant ressurgir avec adresse le passé grâce à une intrigue vivante et une narration minutieuse.


Avis Kana : Le fils de Taïwan - Tome 1


Avec son grand format de 170 x 240 mm, sa préface exclusive des auteurs et un dossier complet sur les événements de l’histoire à la fin de chaque volume, on peut dire que « Le fils de Taïwan » nous en donne pour notre argent. Les premières pages, qui s’avèrent très intéressantes, regroupent la préface de l’autrice Yu Pei-Yun et de nombreux détails sur la conception graphique de l’illustrateur Zhou Jian-Xin. Nous vous conseillons fortement de les lire, car on découvre de nombreuses informations sur la mise en place du projet et la rencontre avec le personnage central du récit, mais également sur le contexte historique et bien évidemment le style visuel. Le premier volume que nous avons entre les mains s’intitule « Le garçon qui aimait lire », et se déroule de 1935 à 1950 dans un Taïwan colonisé par les japonais. Comme l’âge du personnage principal se situe entre 5 et 20 ans, Zhou Jian-Xin a opté pour un style visuel se rapprochant de la peinture enfantine, avec un coup de crayon fin mais néanmoins détaillé. Le rendu est très réussi, en noir et blanc mais avec avec des teintes roses pour les visages, la peau et quelques vêtements, qui apportent une certaine douceur dans un récit souvent dur et réaliste. Un rendu qui ne plaira pas à tout le monde, mais qui s’avère tout à fait cohérent avec ce qui nous est raconté, et auquel nous avons immédiatement accroché. On notera que les traits s’épaississent au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire, notre héros vieillissant et traversant des moments difficiles.

Le côté historique du récit est très poussé également, et bien documenté. Une chronologie des événements est présente à la fin du tome si toutefois quelque chose vous aurait échappé. On notera que certains personnages parlent plusieurs langues (minnan, japonais, chinois mandarin) et que des typographies différentes ont été utilisées pour les différencier. On n’y fait plus forcément attention au bout d’un moment, mais le soucis du détail est bien présent. On suit donc, durant ce premier tome, les premières années du parcours mouvementé de Kunlin Tsai, de son enfance à son adolescence, l’histoire ne voulant décidemment pas qu’il suive un destin loin d’être tracé. C’est bien écrit, vraiment intéressant, et on a de la compassion pour notre personnage, sa famille ou ses amis. Et encore, ce n’est que le début, car après la colonisation ou encore les bombardements, c’est la prison qui attend notre protagoniste principal. Mais ça, nous le découvriront dans le prochain tome, qui proposera un changement de style visuel (Zhou Jian-Xin nous parle de techniques d’infographie dont le résultat est semblable à celui de la gravure et de la peinture à gratter), et un récit qui s’annonce riche en rebondissements.


Avis Kana : Le fils de Taïwan - Tome 1


Le fils de Taïwan - Tome 2Le fils de Taïwan – Tome 2 : Dans les années 1950, durant la Terreur blanche qui étouffe Taïwan, Kunlin est arrêté pour avoir participé à un club de lecture de son lycée. Un beau matin, il est emmené par bateau à l’île Verte avec un millier d’autres prisonniers politiques pour y être rééduqué. Tortures, menaces, travaux manuels, instructions sévères, la Terreur blanche le prive de dix ans de jeunesse… Le fils de Taïwan est un manhua biographique qui raconte la vie de Monsieur Kunlin Tsai, acteur de l’ombre derrière la légende de l’équipe de base-ball Hongye, fondateur du magazine Prince et victime d’oppression politique.

Le 10 septembre 1950 est une date importante dans le vie de Kunlin : il est arrêté pour avoir participé à un club de lecture de son lycée. Sa vie bascule, et on entre dans la seconde période de sa vie, se déroulant de 1950 à 1960. Accusé de rébellion et forcé aux aveux suite à des journées entières de tortures, Kunlin est condamné à 10 ans de prison ferme. L’ouvrage va nous embarquer à ses côtés, à la rencontre d’autres détenus et dans différents centres ou camps de concentration. Attention, si vous n’êtes pas dans un bon mood, ce deuxième tome de « Le fils de Taïwan » ne va pas vous remonter le moral. Le ton est grave, notre héros en bave durant de longues années, et le style visuel utilisé apporte une certaine noirceur. Une nouvelle fois, les dessins vont diviser, mais nous les avons trouvé très immersifs. Ces 10 années de captivité vont néanmoins permettre à Kunlin de faire de belles rencontres, de participer à des activités avec les autres détenus (cuisine, jardinage, maçonnerie, lecture), et de prendre conscience de l’importance de la vie et des épreuves que l’on traverse. Quelques moments d’espoir dans une décennie remplie de doute, de tristesse, de manque et d’injustice. Les méthodes utilisées contre les détenus sont dures, parfois cruelles, et Kunlin ne verra jamais revenir certains de ses compagnons. Notre jeune héros se rend compte de la vie qui passe, qui défile même, de ces années perdues qu’il ne pourra jamais récupérer, et ne pense qu’à une chose : retrouver la liberté et sa famille.

Une nouvelle fois, plusieurs typographies ont été utilisées pour différencier les langues parlées par nos personnages. Cela facilite clairement la découverte, mais donne lieu à des séquences un peu étranges. Par exemple, Kunlin chante une chanson en japonais (les chansons occupent une place importante dans sa vie), et nous bénéficions donc des textes traduits en français. Puis un de ses camarades lui chante la même chanson en chinois, avec la même traduction et simplement une typographie différente. On lit donc deux fois la même chose. L’aspect historique et quoi qu’il en soit très réussi, et très complet. On retrouve de nombreuses informations sur le contexte politique de l’époque, les lieux (centres de détention, camps de concentration, centres de formation) et les personnages clés, avec une chronologie des événements importants. C’est clairement passionnant, et c’est une partie de l’histoire qu’on ne connait pas forcément. La découverte est donc totale, et une grande émotion se dégage de ce tome 2. On est touché par ce qui arrive à Kunlin, et ces sentiments sont renforcés par un style visuel aussi atypique qu’accrocheur. Après un premier tome réussi, ce deuxième l’est tout autant ! Une œuvre à part, que l’on a eu la chance de découvrir grâce aux éditions Kana, que l’on remercie chaleureusement.


Le fils de Taïwan - Tome 2


Le fils de Taïwan - Tome 3Le fils de Taïwan – Tome 3 : Après sa libération de l’île Verte, Kunlin travaille comme traducteur et éditeur de manhuas, participant à l’essor de la bande dessinée taïwanaise jusqu’à son sommet. En 1966, il crée le magazine de jeunesse Prince afin d’aider les jeunes dessinateurs mis au chômage en raison de la censure qui frappe les bandes dessinées. Le fils de Taïwan est un manhua biographique qui raconte la vie de Kunlin Tsai, acteur de l’ombre derrière la légende de l’équipe espoirs de baseball Hongye, fondateur du magazine Prince et victime d’oppression politique. Ce troisième tome couvre les années 1961 à 1969. Les empreintes de sa vie sont des reflets du Taïwan moderne : malgré des nuits lugubres, des lueurs persistent ; malgré de terribles épreuves, on est toujours empli de forces.

« Ne pas se retourner »

Après 2 premiers tomes passionnants, « Le fils de Taïwan » est de retour aux éditions Kana avec un troisième volume qui l’est tout autant. Arrêté pour avoir participé à un club de lecture de son lycée, Kunlin vient de passer 10 années en captivité sur l’île Verte. Une condamnation terrible pour un jeune homme innocent, qui a désormais la trentaine. Le contexte à Taïwan est toujours difficile, et la dictature est toujours en place. Dans ce climat tendu, Kunlin va tenter de se reconstruire, de retrouver les siens (et notamment son amour de jeunesse) et de trouver un travail. Mais se relancer dans une vie active n’est pas une mince affaire, et malgré qu’il soit très cultivé (il parle notamment très bien l’anglais), Kunlin se heurte à des patrons gênés par son passé en prison. Pire, Kunlin est régulièrement contrôlé par la police, qui vient lui chercher des noises. Cela ne l’empêche pas d’être ambitieux, et nous allons découvrir, dans ce tome 3, tout son parcours. Ce sont les années 1961 à 1969 qui sont couvertes cette fois-ci, et la période s’avère cruciale pour Kunlin, qui va tenter de travailler dans l’éducation mais également de se lancer dans le manhua, nom donné à la bande dessinée dans le monde chinois. Il sera également un grand acteur de la réussite de l’équipe espoirs de baseball Hongye.

« On dirait que j’ai quitté la prison de l’île Verte pour entrer dans la grande prison qu’est Taïwan »

Ce nouveau tome est clairement passionnant, et on vit les événements avec intérêt. Le contexte politique est parfaitement expliqué, tout comme l’utilisation des différentes langues (taïwanais, japonais, mandarin) dans le récit. La découverte de ce plurilinguisme est toujours aussi intéressante, et une explication complète en début de tome est présente pour bien vous y retrouver. L’aspect historique est quant à lui très développé également, et cette partie de l’histoire est mal connue chez nous. Le récit reste néanmoins profondément humain, et on vit les joies et les souffrances de Kunlin avec lui, ses réussites comme ses échecs, et sa relation avec sa femme, pas toujours simple. L’ambiance est parfois lourde, et Kunlin se met souvent dans des situations difficiles pour venir en aide à ses amis, oubliant presque sa vie de famille. Il a le cœur sur la main, est toujours redevable envers ceux qui l’ont aidé, mais cela pourrait lui porter préjudice. Ce tome 3 de « Le fils de Taïwan » est tout aussi accrocheur que les précédents, très riche en informations et très prenant en termes de narration. Les visuels sont une nouvelle fois atypiques, notamment dans la colorisation (la seule couleur utilisée étant le jaune), et certaines grandes illustrations sont vraiment superbes. L’ouvrage est très qualitatif, et il nous tarde de découvrir le quatrième et dernier tome.


Le fils de Taïwan - Tome 3


Le fils de Taïwan - Tome 4Le fils de Taïwan – Tome 4 : Dans les années 1970, Taïwan est obligée de se retirer des Nations unies, son statut international en a été beaucoup affecté. Dans les années 1980, poussée par une série de mouvements sociaux, Taïwan se transforme en un état démocratique. Grâce à l’essor économique remarquable du pays, Kunlin peut développer sa carrière avec succès, ses enfants grandissent paisiblement. Cependant, dans ce contexte progressif d’ouverture, son passé de « prisonnier pour rébellion » d’autrefois remonte à la surface… Le fils de Taïwan est un manhua biographique qui raconte la vie de monsieur Kunlin Tsai, acteur de l’ombre derrière la légende de l’équipe de baseball Hongye, fondateur du magazine Prince et victime d’oppression politique. Ce quatrième tome couvre les années 1970 à 2021. Les empreintes de sa vie sont des reflets du Taïwan moderne : malgré des nuits lugubres, des lueurs persistent ; malgré de terribles épreuves, on est toujours empli de forces.

« Maintenant que j’ai entendu vos 2 témoignages, je comprends mieux pourquoi l’histoire des Hommes ne peut être réduite à quelques lignes dans des manuels scolaires »

Disponible depuis ce début d’année 2024, le tome 4 de « Le fils de Taïwan » est venu conclure la série de bien belle manière. Nous avons eu la chance de découvrir la vie et surtout le parcours de Kunlin, de sa naissance à ses nombreux déboires, de sa réquisition dans l’armée impériale lors de l’occupation japonaise à son emprisonnement sur l’île Verte où il était considéré comme prisonnier politique. Nous avons pu découvrir sa vie personnelle mais également professionnelle, durant laquelle il a également rencontré de nombreuses difficultés, et on en découvre encore certaines dans ce tome 4. Malgré tout ça, ne cessant jamais de lire et de se cultiver, Kunlin n’a jamais vécu dans la haine malgré les nombreuses injustices dont il a été victime. Affrontant les difficultés, il a toujours été altruiste et a tendu la main aux autres, se mobilisant pour la justice mais également pour la promotion des Droits de l’Homme.

Ce tome 4 est incroyablement riche et revient sur de nombreux événements historiques des années 70 et 80 à Taïwan. C’est clairement passionnant mais également complexe, et toute cette partie de l’histoire semblera bien obscure pour la plupart d’entre nous. Cela ne nous a pas empêchés de découvrir avec intérêt les nombreux événements narrés et détaillés par les auteurs, le tout étant accompagné de nombreux moments d’émotion, notamment lorsque Kunlin retourne sur l’île Verte avec sa famille. Un lieu désormais touristique, dont on oublierait presque toutes les souffrances du passé. C’est là où le témoignage de Kunlin et de certains de ses proches sont importants, pour apporter des détails et des réponses à des événements clés de l’histoire du pays, qu’on ne découvre pas dans les livres. Ce tome 4 est un sacré condensé d’informations et un sacré morceau à découvrir, le tout porté par un coup de crayon très réussi et de très belles idées visuelles. On ne sait parfois plus où regarder tant les dessins sont riches, et cela participe grandement à l’immersion. « Le fils de Taïwan » se termine donc sur un tome tout aussi prenant et riche que les précédents, et nous sommes heureux d’avoir eu la chance de les découvrir.



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